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Madrid, « école de chaleur[1] » : l’amour pop-rock dans le Madrid de la Movida
Madrid “school of heat”: pop-rock love in Movida-era Madrid

[End Page 1] Le rock and roll arrive à Madrid dans les années cinquante grâce aux soldats nord-américains en poste dans les bases militaires implantées près de la capitale à partir de 1953. Il s’agit de chansons en langue étrangère empreintes de nouveaux codes musicaux et culturels qui diffèrent du folklore et des chansons populaires type verbenas, coplas et flamenco mis en avant sous le régime franquiste. Cette proximité favorise, avec le développement du tourisme dès les années soixante, l’émergence d’une musique moderne nourrie d’influences extérieures, une « chanson légère » qui sera célébrée lors du Festival Espagnol de la Chanson de Benidorm à partir de 1959 où se produiront notamment Rafael et Julio Iglesias. Le panorama musical de la péninsule est dominé dans les années soixante-dix par la Catalogne à l’origine de chansons sentimentales (calquées sur la musique yéyé diffusée de l’autre côté des Pyrénées, elle-même copiée sur les hits nord-américains), critiques (celle des cantautores aux textes politiques engagés contre le régime) ou à revendication identitaire (la Onda Layetana[2]). Madrid cherche alors davantage son inspiration musicale du côté du rock anglo-saxon, notamment du glam rock et du punk qui se développe dans la capitale peu de temps après la fin de la dictature, simultanément à son émergence à Londres. Après la mort du général Franco, le 20 novembre 1975, débute une période de transition politique, économique, sociale et culturelle qui accompagne l’instauration de la démocratie dans le pays et donc l’accès à des libertés dont l’Espagne a été privée pendant près de quarante ans. Alors que la censure est abolie à partir de 1977, les générations élevées selon les règles strictes de la morale imposée par le franquisme, voient leurs enfants séduits par la folie de la Movida[3] et les excès du Sólo se vive una vez (On ne vit qu’une fois). Cette version hédoniste madrilène du No Future punk londonien, les invite à profiter des plaisirs de la vie dans une capitale où tout semble désormais permis, au rythme des nouveautés musicales qu’ils découvrent dans les nouvelles discothèques implantées au cœur des quartiers centraux du Rastro ou de Malasaña.

Cet article propose ainsi, à travers l’analyse des textes des chansons les plus célèbres du moment, de s’intéresser plus particulièrement au discours amoureux et à la représentation de l’amour dans les chansons produites pendant la Movida madrilène, c’est-à-dire dans un contexte de libération sexuelle et d’émancipation des femmes. Il se base sur l’étude de 108 chansons espagnoles ayant l’amour comme principale thématique et figurant, pour certaines, sur les listes des « meilleures » chansons de la Movida ou de la Transition[4] publiées[5] à posteriori. La reconnaissance de la popularité de ces chansons est à prendre en compte car, tout en se faisant le témoignage des changements de mœurs de l’époque, elles [End Page 2] ont pu, grâce à une large diffusion, encourager elles aussi des modifications de comportements chez toute une génération de jeunes Espagnols.

I Des chansons qui révèlent et redonnent à la femme une fonction d’actrice au sein des jeux amoureux

L’ensemble des chansons pop rock de la Transition se situent dans un état d’in-souci[6] en faisant preuve d’un apolitisme confortable qui répond au « pacte de silence » informel construit sur la loi d’amnistie promulguée en 1977, et adopté de façon consensuelle au niveau politique par les gouvernements de la Transition. Alors que tout invite à oublier les horreurs de la Guerre Civile (1936-39) et la répression subie sous la dictature (1939-1975), les valeurs héritées du franquisme s’effritent également. Madrid connait un état de crise provoqué par la rupture de la stabilité d’un régime clos et le déclin des discours du franquisme qui ont verrouillé et orienté la culture et l’éducation pendant près de quarante ans. Ainsi, l’éducation sentimentale et sexuelle des jeunes Espagnols était strictement encadrée par les valeurs de la morale prônée par le franquisme, fondées selon Rafael Torres sur la répression : « L’amour a été persécuté sous Franco plus que toute autre chose (…) Se sachant impopulaire, mal aimé, (le régime) a agi de façon acharnée contre toute expression de liberté et l’amour, le sexe, la sensualité, le plaisir, l’érotisme et l’amitié entre les sexes ont été, en tant qu’expression importante de la spontanéité du libre arbitre, proscrits de la vie sociale et même de la vie personnelle et intime[7] ». Le régime avait en effet aboli le divorce (sauf pour les hommes), renoncé à la mixité dans l’éducation, les piscines et même sur les plages, interdit toute expression de sentiment dans les espaces publics (les couples ne pouvaient plus s’embrasser ni même se tenir par la main dans les rues et les femmes devaient veiller à ne point trop découvrir leur corps y compris sur les plages où elles étaient obligées, contrairement aux touristes en bikinis, de revêtir un peignoir) et encadré les effusions dans la sphère privée, limitant les relations sexuelles au seul but de la procréation. Dans une volonté d’oubli du passé mais surtout de jouissance du futur, les chansons de la Movida ne reviennent pas sur cette période d’inhibition forcée tout en soulignant, cependant, la persistance de certains tabous :

Tu disais : « pour toujours » en me prenant les mains; le monde n’existait plus et toi et moi nous nous sommes aimés… Je sentais ton corps entre mes bras, ta peau me caressait, c’étaient des choses que personne ne m’apprenait au collège. Mais je dois te quitter, car les adultes me le disent et parce que ces messieurs l’exigent… Pendant l’adolescence, on ne t’autorise qu’à étudier et on t’interdit de jouer à être adulte. (…) Mais va-t’en désormais, je ne comprends pas ce monde… Los Pecos « Concert pour adolescents » (« Concierto para adolescentes », 1978)

Tu crois que je ne t’aime pas parce que je ne veux pas me marier, mais tu sais bien que les dimanches sont faits pour aller danser. (…) Ne sois pas triste chérie, tu sais que tu es mon amour. On va se moquer du monde comme quand je te fais l’amour. Burning, « Bouge tes hanches » (« Mueve tus caderas », 1979) [End Page 3]

Monsieur, pardonnez mon audace (…). Ecoutez-moi Monsieur, cela ne durera qu’un instant, Monsieur, votre fille est tout pour moi (…). S’il-vous-plaît, Monsieur, ne nous séparez-pas. Même si c’est votre fille, c’est sa vie et elle m’aime… Souvenez-vous d’hier, lorsque vous étiez plus jeune et que vous aussi vous cherchiez des recoins pour parler d’amour en cachette. Vous fuyiez, vous aussi, un Monsieur. Et vous devez comprendre que l’histoire se répète, et que votre femme, hier, avait aussi un père qui a su comprendre. Los Pecos « Monsieur » (« Señor », 1980)

Je sais que je ne suis pas … le meilleur, mais je suis un des rares à te faire vibrer. Je sais que parfois tu as envie de tout arrêter à cause de ce qu’on te dit sur le bien et le mal. J’espère que tu n’écoutes pas ces bêtises car tu sais qu’il nous reste beaucoup de choses à faire. Coz, « Deux dans la lumière » (« Dos en la luz », 1981)

Avec la fin de la censure en 1977, les textes des chansons d’amour deviennent révélations : les jeunes auteurs s’empressent de profiter de la liberté retrouvée pour sortir du non-dit et exprimer les désirs de leur génération en cédant parfois à la provocation d’une liberté sans limite, outrageante pour la culture dominante qui porte encore les stigmates des années de franquisme. Ainsi, dès 1978, alors que les groupes Parálisis Permanente et Tequila chantent l’acte sexuel, La Bandera Trapera raconte l’histoire d’une jeune femme qui, après avoir eu ses premières règles, tombe enceinte. Ce titre, censuré sur plusieurs radios, constitue une vraie provocation notamment par sa mise en scène lors des concerts, à base de tomates et de farine :

Maman, j’ai peur, il y a du sang. Les règles, c’est l’histoire d’une fille qui ressent quelque chose de bizarre dans son corps, elle va avoir ses règles, ce n’est plus une enfant. (…) Et un jour, la fille a dit à sa mère : je ne suis plus vierge. La Banda Trapera del Río, « Les règles » (« La regla », 1978)

Je me réveille avec cette obsession; mon ambition est de te posséder, je ne prétends pas entendre ta voix mais seulement passer à l’acte. Parálisis Permanente « L’acte » (« El acto », 1978)

Ne me regarde pas, ne réfléchis pas, ne pose pas de questions ; je ne veux pas parler. Ne te retiens pas, cela te plaira, il vaut mieux te laisser aller. C’est un frôlement, un gémissement, des convulsions et tes cris. Je parcours lentement ta peau et tes mains s’agrippent à moi, je sens alors ton corps battre, en sueur, tout près de moi. Parálisis Permanente, « Cela te plaira » (« Te gustará », 1978)

Viens, donne-moi la main, personne ne nous dérange, aujourd’hui il n’y a personne à la maison et je suis très en forme. Laisse-moi te déshabiller, n’éteins pas la lumière. Je veux t’embrasser, je veux t’embrasser… Tequila, « Je veux t’embrasser » (« Quiero besarte », 1979) [End Page 4]

Cependant, la présence dans le panel de bluettes sentimentales suppose la permanence de l’amour romantique qui s’exprime à travers des thèmes associés à l’imaginaire passionnel du grand amour (fidélité, jalousie, déception) et par un discours amoureux traditionnel conforme à celui analysé par Roland Barthes[8] : les textes convoquent en effet la quête, l’énamoration, la capture, l’abîme (le fait de succomber), le manque, la mort narcissique de l’amoureux, l’ascèse (la punition/la culpabilité), le désamour, le délabrement (la souffrance)… Autant de thèmes qui traduisent le sentiment déraisonnable d’amour absolu et définitif propre aux adolescents auxquels sont destinées en priorité ces chansons.

(La quête) J’écris chaque jour une lettre d’amour, amour imaginaire, amour innocent, quelques feuilles de pois de senteur, un parfum Dior, de beaux timbres variés de différentes couleurs. Des lettres d’amour sans destinataire, des lettres d’amour sans adresse, quelle aberration (…) mais que ferais-je si tu y répondais ?. Vainica Doble « Lettres d’amour » (« Cartas de amor », 1981)

(L’énamoration) Sur une vitre mouillée j’ai écrit son nom sans m’en rendre compte et mes yeux sont devenus telle cette vitre en pensant à elle. Les tableaux n’ont plus de couleurs, les roses ne ressemblent plus à des fleurs, il n’y a plus d’oiseaux le matin. Los Secretos « Sur une vitre mouillée » (« Sobre un vidrio mojado », 1981)

(La mort narcissique de l’amoureux) Si tu m’emmènes avec toi, je promets d’être léger comme la brise et de te dire à l’oreille des secrets qui te feront sourire. J’ai une pensée vagabonde, je vais suivre tes pas à travers le monde, même si tu n’es plus là, je te sentirai grâce à la matière qui me relie à toi. Radio Futura « Graine noire » (« Semilla negra », 1984)

(Le délabrement) Aujourd’hui j’aimerais passer te chercher et sortir avec toi n’importe où, marcher tout l’après-midi dans le parc, enlacés… comme avant. Je ne sais, peut-être m’as-tu déjà oublié. Pourquoi est-ce arrivé ? Bébé, pourquoi m’as-tu laissé ? J’ai attendu…et tu ne m’as jamais rappelé. Et je n’ai plus jamais eu de tes nouvelles, plus jamais. Tu as été le premier amour de ma vie. Tequila « Aujourd’hui j’aimerais être à tes côtés » (« Hoy, quisiera estar a tu lado », 1979)

Et en effet, ces textes où le sublime prédomine sur le sexuel indiquent que, malgré les changements de comportements amoureux intrinsèques au contexte de fin de dictature et au déclin des discours du franquisme, l’Espagne de la Transition qui découvre la société de consommation s’affiche comme une société postmoderne où, malgré tout, « les mythologies du cœur ne sont pas épuisées[9] ». D’où ce paradoxe qui voit se mélanger au sein du panorama musical moderne de l’époque des titres sentimentaux très fleur bleue avec d’autres, très nombreux, beaucoup plus crus dans lesquels sont déconstruits les modèles traditionnels. C’est en quelque sorte comme si ces groupes souhaitaient, à travers la provocation de leurs chansons d’amour, affirmer l’entrée du pays dans l’ère de la modernité dont les discours, selon Roland Barthes, censurent l’amour-passion qui, ridicule, inavouable [End Page 5] et obscène, devient une abjection. Car l’Espagne entre alors dans une période de libération sexuelle portée, comme le souligne le personnage de Luci[10] dans le premier long-métrage de Pedro Almodóvar, par « la vague d’érotisme qui nous envahit » : une expression supposément attribuée au général Franco[11], qui fait de la libération des mœurs une menace pour le pays sous le franquisme et même, selon certains, durant la Transition[12]. Les chansons d’amour du moment, que l’on peut précisément qualifier de postmodernes parce que nées d’un état de crise politique, culturelle et économique, vont donner une représentation de cet « après » qui suppose l’avènement de l’aléatoire, du questionnement, du discontinu. La remise en question de l’amour unique et éternel et des valeurs héritées du franquisme est permanente dans l’espace de liberté d’expression qu’offre la chanson moderna pop-rock, à travers notamment les références à la multiplication des expériences sexuelles tenant davantage de l’expérimentation que du sentiment amoureux :

Je n’ai pas pu résister, je me suis approché de toi sans parler d’amour, nous avons passé la nuit ensemble. Tes cadeaux enveloppés de parfum de femme ont disparu avant le lever du jour. Je ne te reverrai peut-être pas. Elle est partie comme elle est venue. C’est peut-être ça l’amour. Los Secretos « Elle est partie comme elle est venue » (« Se fue como llegó », 1981)

Cette chanson de Roxy a déclenché notre grand amour qui a duré jusqu’au matin et ensuite, tout s’est terminé. On a décidé de ne pas poser de question, aucun nom, aucun sexe, aucun âge. Cette chanson de Roxy a été le signal. La Mode « Cette chanson de Roxy » (« Aquella canción de Roxy », 1982).

« Pour toi », du groupe Paraíso, est considéré comme l’un des titres cultes de la Movida. Composée par Fernando Márquez El Zurdo à partir d’une expérience vécue lors de vacances à Benidorm, cette chanson nostalgique, tout en cédant au cliché pop des amours adolescentes, aborde le thème de la découverte de l’amour par un garçon de quinze ans pratiquant parfois la prostitution :

Pour toi qui découvres les secrets de ton corps, (…) qui es un apprenti séducteur, (…) pour toi qui te grattes la tête en réfléchissant, qui calcules un plaisir rémunéré (…) pour toi, nous avons cherché le paradis ensemble, (…) nous avons oublié les critiques séniles, (…) pour toi qui as tout juste quinze ans, pour toi qui es né en des temps assassins, pour toi qui vas voir les filles des rues, pour toi dont le plaisir est encore ambigu… Paraíso « Pour toi » (« Para ti », 1980)

Dans le même esprit, « Ecole de chaleur » (« Escuela de calor ») de Radio Futura relate, en 1984, les échanges qui se produisent entre les nouvelles tribus urbaines à la tombée du jour au bord d’un fleuve. Une école d’apprentissages nouveaux qui nécessite un certain « courage », celui de la découverte, face à des comportements en totale rupture avec l’époque franquisme où primait le contrôle des désirs, voire l’abstinence. La multiplication des expériences s’oppose ainsi à l’amour unique et éternel lié au mariage de raison recommandé sous le franquisme, et répond également à la notion de choix individuel qui s’impose au niveau des relations amoureuses dans les sociétés postmodernes. Cette possibilité de choix, [End Page 6] qui va favoriser une peur de l’engagement, participerait à la recherche de l’adéquation émotionnelle qui, selon Eva Illouz[13], serait la version postmoderne de l’adéquation sociale recherchée précédemment.

La remise en question des modèles enseignés sous le franquisme concerne également l’évolution de la situation des femmes dans la société et au sein du foyer dont elles se sont émancipées. Le groupe Burning s’interroge dès 1978 dans le titre « Que fait une fille comme toi dans un tel lieu ? » sur le changement de mœurs de jeunes filles dont les nouveaux comportements, calqués sur les modèles masculins, reconsidèrent la passivité associée aux femmes dans les relations amoureuses sous le franquisme, au moment même où apparait à Madrid la figure du pasota liée à La Movida, ce jeune homme je-m’en-foutiste, rejetant l’effort et quelque peu looser :

Que fait une jeune fille comme toi dans un tel lieu ? Quel style d’aventures es-tu venue chercher ? Ton âge te trahit, Bébé, tu n’as rien à faire ici. Tu es à la chasse ? Qui penses-tu attraper ? Ne joue pas avec moi. (…) N’essaie pas de m’attraper, j’ai déjà appris à voler. Burning, « Que fait une fille comme toi dans un tel lieu ? » (« ¿Qué hace una chica como tú en un sitio como éste ? », 1978)

Les chansons d’amour de la Movida traduisent ainsi les changements de comportements amoureux et sexuels des jeunes femmes qui sont présentées, ou qui se représentent elles-mêmes, comme des femmes à la sexualité assumée, libérées, et entreprenantes, qui vont « à la chasse » ou « à la pêche » aux hommes, qui les traquent et les capturent :

Les filles ont quelque chose de spécial, les filles sont des guerrières, jouer avec elles, c’est comme manier de la nitroglycérine, elles ont plus de watts qu’une centrale nucléaire, mais elles ne sont pas aussi néfastes et la plus piquante peut avoir un goût de mandarine. Blondes, brunes, châtains, peu importe, elles sont toutes divines. (…) Elles ont l’habitude de diriger et elles mettent ton cœur en pièce. Coz « Les filles sont des guerrières » (« Las chicas son guerreras », 1978)

Va-t’en désormais de ma vie, fiche moi la paix, tes yeux éperdus m’empêchent de dormir. On m’avait prévenu et je n’ai pas voulu écouter, maintenant je suis attrapé, je ne sais pas comment m’échapper. Chaque fois que j’essaie, tes yeux éperdus se remettent à briller et à nouveau ils me traquent (cazan), à nouveau ils me traquent (cazan). Los Secretos « Des yeux éperdus » (« Ojos de perdida », 1981)

Attention, tu sais que je t’espionne tout le temps, si tu te retournes rapidement, je suis déjà cachée. Je sais que cette fille avec qui tu as l’habitude de sortir n’est pas ta sœur, et après, tu t’étonnes que je me sente trompée. Attention, tu sais que je t’espionne tout le temps. Las Chinas « Je t’espionne » (« Te espio », 1982)

Je sais que tu me suis, quelqu’un me l’a dit, je ne m’intéresserai jamais à toi, tu envoies des lettres sans les signer, des poèmes que je dois déchiffrer (…) Tu [End Page 7] remues ciel, terre et mer pour pouvoir me contrôler, je suis ton principal objet, ton principal objet. Pistones « Fleurs condamnées » (« Flores condenadas », 1983)

Arponneuse, je veux être arponneuse et pêcher tes sentiments. Je ferai de la contrebande, je ferai du trafic de tabac et d’or pour toi. Souvent, la nuit, on me verra à la frontière de Gibraltar. Esclarecidos « Harponneuse » (« Arponera », 1985)

Eloïse, douleur dans tes caresses et tes histoires à dormir debout, je serai toujours ton chien fidèle ; mon Eloïse, aimer vite, aimer debout, je ne sais pourquoi tu me caches quelque chose, je courrai ton double risque, je me perdrai. (…) Eloïse, je te maudirai autant de nuits que je t’ai désirée. J’ai été attrapé à ma propre toile, comme une araignée captive, je ne pourrai plus m’échapper. Tino Casal « Eloïse » (« Eloise », 1988)

II Des chansons qui verbalisent les difficultés amoureuses à l’heure de la postmodernité

Suite à l’émergence de ces nouveaux modèles féminins, les hommes apparaissent quelque peu désemparés, voire perturbés, par un jeu dont ils ne sont plus les seuls à maitriser les règles et auquel ils se laissent parfois volontairement piéger :

Actuellement je suis désespéré, ce qui me rend fou c’est ta façon de faire, tu es complètement folle mais c’est comme ça que je t’aime. La vérité, c’est que je ne sais que penser…Tequila « Je suis en train de décrocher » (« Desabrochando », 1977)

Tu as besoin de me voir triste pour être heureuse, tu as besoin que ton honneur soit sauf, tu as besoin qu’on te dise la vérité, tu as besoin de tant de choses… Oh, oh, oh, que puis-je faire moi ? Los Secretos « Que puis-je faire moi ? » (« Qué puedo hacer yo », 1981)

Tu dis que tu m’aimes et que tu m’aimes avec passion, ce sont de très belles paroles, la nuit, sous l’effet de l’alcool, et ensuite le matin, au réveil et de mauvaise humeur, tu me jettes à la rue, qui peut te comprendre ? Dis-le-moi ! (…) Chaque fois que tu le désires, tu me fais l’amour, dans la cuisine, dans l’ascenseur ou sur la table du salon. C’est toi, celle qui commande et qui décide à ma place. D’abord cela a été mon père, après mon patron, et maintenant, je me soumets à toi… Tequila « Bébé » (« Nena »,1981)

Laisse-moi entrer dans ton jeu, la ville est un damier, la partie se joue presque toujours de nuit. (…) Et nous savons tous quelle en est la récompense, nous [End Page 8] savons tous que la récompense, c’est toi, oui toi, le prix c’est toi. La Mode « Le seul jeu dans la ville » (« El único juego en la ciudad », 1982).

Les auteurs expriment alors tout leur désir pour ces corps attirants que la démocratie permet enfin de dévoiler et qu’ils souhaitent voir correspondre aux nouvelles normes érotiques diffusées par la société de consommation qui privilégie l’attrait physique aux sentiments amoureux :

Plus sexy, Poupée, mets des talons, plus sexy, fais-moi un clin d’œil pour commencer, plus sexy. Essaie une taille en dessous, plus sexy. N’oublie pas d’être sexy à la piscine, au commissariat, au bureau, sois sexy toute la journée. (…) Et si tu veux monter sur ma moto, sexy, dégrafe un autre bouton. Coz « Plus sexy » (« Más sexy », 1980)

Tu n’es que des os, réunis par très peu de peau. Des os, des os ! Mince comme le vent, fine comme un rasoir. Comment vais-je t’embrasser ? Car c’est ce que je voulais faire. Et par où vais-je te tenir quand nous irons nous balader ? Los Burros « Des os » (« Huesos », 1983)

Ainsi, les titres expriment majoritairement des rêves d’amour masculins et on relèvera certaines mises en garde contre un amour incontrôlable, féroce, de la part d’un amoureux « dévorant » son aimée :

Ne pas te toucher car sinon je pourrais te dévorer. Grimpe à un arbre, déchire tes bas, pleure dans un coin, je ne vais pas te toucher, c’est mieux ainsi. Radio Futura « Ne pas te toucher » (« No tocarte », 1984)

Cette nuit, j’ai peur d’embrasser ton doux cou sans pouvoir m’arrêter, de te tenir dans mes bras et de te voir défaillir, en attendant que tu reviennes, oui, avant l’aube. Écoute-moi et va-t’en, le vampire reviendra te voir, va-t’en dans un lieu où tu trouveras le soleil. N’aie pas confiance en ton ami, Bébé, ne passe pas la nuit avec ton ami, Bébé, le vampire est tout près de toi. Nacha Pop « Avant que le soleil se lève » (« Antes que salga el sol », 1980)

Bonjour mon amour, je suis le loup, je veux que tu sois près de moi pour mieux te voir, si seulement tu voulais bien m’enlacer avec tes griffes, si seulement tu voulais bien m’embrasser avec tes dents. (…) Ce que je veux, c’est ton superbe corps, ce que j’adore, c’est ta force animale (…). Je veux juste une nuit sans fin où nous pourrions nous dévorer tous les deux. La Orquesta Mondragón « Petit Chaperon Rouge féroce » (« Caperucita feroz », 1980)

Les textes étudiés, écrits et interprétés majoritairement par des hommes (98 titres sur les 108 retenus) encouragent la libération des corps et l’émancipation des femmes. Cependant, ils révèlent aussi des hommes déstabilisés souvent présentés comme les victimes de femmes pouvant se montrer elles aussi féroces, voire guerrières, mais davantage, comme l’indiquent [End Page 9] les textes présentés ci-dessous, parce qu’elles veulent se venger d’un amour trahi ou rejeter un amant trop entreprenant, ce qui place l’homme à l’origine de la crise. L’homme se présente ainsi dans ces textes comme la victime d’une passion qu’il ne sait pas contrôler, victime d’un manque ou victime de l’instauration d’un nouveau type de relations dans lesquelles la femme assume un rôle réel. Ce sont ainsi de véritables rapports de forces qui semblent se révéler à travers ces chansons d’amour :

Mes jambes tremblent quand tu entres dans cette chambre, ma voix se brise et mon discours devient incohérent. Car mon corps ne supporte pas ces rafales d’amour. Tu vas viser le centre de la cible que j’ai dans le cœur ! C’est dommage que tu vises si mal et que tu me loupes, je ne sais plus que faire ni que penser. Los Bólidos, « Des rafales » (« Ráfagas », 1980)

La chance était avec moi, nous avons marché jusqu’au porche, son regard m’a tué, finalement j’ai pu sauver mon corps. (…) Je la cherche depuis des mois, dis-le-lui si tu la vois. Finalement, la seule façon de survivre dans cette maudite ville, c’était tes regards assassins. (…) Désormais je ne peux plus revenir, son archange m’attaquera. Elle ne comprend pas que tu existes, que ce fut juste une fois. J’ai perdu, je le sais. Il y a la guerre dans ma chambre, si tu cherches, tu me trouveras. Los Burros « Conflit armé » (« Conflicto armado », 1983)

Comment as-tu pu me faire ça à moi ? Moi qui t’aurais aimé jusqu’à la fin. Je sais que tu t’en repentiras. La rue déserte, la nuit idéale, il n’a pas pu éviter une voiture sans phare, un coup précis et tout s’est terminé entre eux deux, soudain. Je ne regrette rien, je le referais s’il le fallait, c’est la jalousie. Alaska y Dinarama « Comment as-tu pu me faire ça à moi ? » (« ¿Cómo pudiste hacerme esto a mí ? », 1984)

Si dans un élan, je mets ma main sur son sein et que je fais comme si de rien n’était, elle me donne des coups de poêle, elle devient féroce, et c’est comme cela qu’elle est vraiment belle. Ce doit être de l’amour. Elle me donne des coups de poêle, elle m’ouvre la tête, ce doit être de l’amour. Elle devient gentille quand elle me frappe, ce doit être de l’amour. Loquillo y Trogloditas, « Amoureux de la vendeuse de la baraque à frites » (« Enamorado de la dependienta de la tienda de patatas fritas », 1984)

Il est intéressant ainsi de souligner la différence de comportements exprimée dans ces chansons, entre l’homme et la femme face à la déception amoureuse ou au harcèlement. En effet, alors que la chanteuse Alaska se dit prête à tuer celui qui l’a trompée, les hommes regrettent, supplient et parfois même fuient :

Reste avec moi, si tu veux bien m’écouter, je suis si désespéré que je vais te supplier… Ne me laisse pas seul. Tequila « Ne me laisse pas seul » (« No me dejes solo », 1981) [End Page 10]

Ne t’en fais plus pour moi. Je vais quitter cette ville et ne plus te poursuivre. (…) Je n’ai plus besoin de toi, tu ne peux plus me tromper. J’ai remplacé ton oreiller par une bouteille de champagne. Ramoncín « Béton, femmes et alcool » (« Hormigón, mujeres y alcohol », 1981)

Bébé, laisse-moi tranquille, je vais couper le fil de mon téléphone, tu es là à toute heure, je n’en peux plus de tant de « ring, ring, ring ». Tequila « Ring, ring » (« Ring, ring », 1980)

Il arrive cependant que ces femmes fortes et émancipées perdent au jeu de la modernité et qu’elles payent dans la douleur les excès du Sólo se vive una vez. Nombreux sont en effet les titres dans lesquels les interprètes tracent, désabusés, le portrait de leur aimée, perdue dans la drogue ou l’alcool :

Les hommes jouent à des jeux bizarres avec des seringues et les filles jouent à des jeux étranges et elles rient, et rient, et elles pleurent, et pleurent. Los Zombies « Des jeux étranges » (« Juegos extraños », 1980)

Tu es toujours à la limite de la cirrhose ou de l’overdose, Poupée, avec ta chemise sale et une espèce de moue à la place du sourire. Comment ne pas t’imaginer, comment ne pas se souvenir de toi, quand, il y a à peine deux ans, tu étais la Princesse à la bouche de fraise, quand tu avais encore cette façon de me faire mal. Désormais il est trop tard, Princesse, cherche-toi un autre chien qui aboie après toi, Princesse. Joaquín Sabina « Princesse » (« Princesa », 1985)

Princesse, tu t’es trompée, dans ton coin, quel pharmacien ennemi t’a perdue ? Je te vois aujourd’hui plus triste qu’hier. Tu n’as plus grand chose à perdre. Je ne vais pas t’embrasser, je ne suis qu’un déserteur. Je ne connais rien… aux mots d’amour. Parfois je te trouve si vulgaire, en train de boire toujours sec, sans soda. Tu ne sais même plus comment sourire. Los Ilegales « Princesse, tu t’es trompée » (« Princesa equivocada », 1986)

Ces titres se font ainsi l’écho des nouvelles libertés, notamment sexuelles, liées à l’évolution de la société espagnole qui entre alors dans le débat de la postmodernité posé notamment par le premier numéro de la revue La Luna de Madrid. Dans un article intitulé « Madrid 1984 : ‘La postmodernité ?’ », Borja Casani et José Tono Martínez annoncent la fin de la modernisation de l’Espagne : « Maintenant, que se passe-t-il ? La postmodernité ou ce qui viendra, quel que soit son nom, sera le modernisme authentique : l’approfondissement et la synthèse de tout ce que nous avons reçu en à peine deux lustres ». Ces nouvelles opportunités seraient donc subordonnées à « l’émergence du principe de plaisir qui fait du sujet social un ‘être de désir’ replié sur la sphère narcissique du moi[14] » propre aux sociétés postmodernes selon Marc Gontard. Ce sujet amoureux en crise, en proie à un narcissisme débordant, s’exprime à la première personne comme dans « Autosuffisance » (« Autosuficiencia », 1978) de Parálisis Permanente (« Je me regarde dans le miroir et je suis heureux et je ne pense à personne d’autre qu’à moi ») ou dans la reprise que le groupe punk [End Page 11] féminin Las Vulpes propose de « I Wanna Be Your Dog » des Stooges (« Je préfère me masturber toute seule dans mon lit que coucher avec quelqu’un qui me parlerait de futur »). Un sujet narcissique et hédoniste qui se réalise pleinement dans l’accomplissement d’une jouissance sans limite comme l’indique le caractère érotique et pornographique de nombreux titres. Cette récurrence peut être interprétée comme une réaction au puritanisme imposé par le régime franquiste pendant des années. Mais elle s’inscrit plus globalement, suite à l’avènement de la démocratie en Espagne, dans « l’explosion de la production et de la consommation pornographiques dont les années 1980 donnent le coup d’envoi », comme l’indique Gille Lipovetsky lorsqu’il revient sur « la jungle sexuelle[15] » dans laquelle « se trouvent plongées », alors, « les sociétés démocratiques livrées au culte des plaisirs charnels et de la liberté en amour » et que l’on doit à « la dissociation de la sexualité et de la morale, l’anarchie des règles morales et la chute des tabous ». Mais peut-on encore parler de chansons d’amour alors que Marc Gontard définit la pornographie comme « une pratique excessive (qui) a mis en évidence une nouvelle atomisation du sujet en déconnectant la recherche du plaisir de la contrainte sentimentale[16] » :

Il est parti dans une autre chambre, il est revenu habillé bizarrement, les cheveux plaqués, il avait un regard méchant. Tout de cuir vêtu, il a sorti un fouet, alors je me suis dit qu’il allait me donner tout ce que je méritais, que tout ceci m’arrivait parce que j’étais une sale pute ! Kaka de Luxe « La tentation » (« La tentación », 1978)

Maintenant tu dois te taire et tu vas savourer ce met exquis que je mets dans ta bouche (…) Mais Chérie, ne t’arrête-pas, continue et tais-toi, Dieu te le rendra car tu fais ça très bien et pendant que je me concentre, suce là plus profondément car je sens que le moment arrive et tu as très bien fait ça. Semen Up « Tu fais ça très bien » (« Lo estás haciendo muy bien », 1985)

Cependant, ces références pornographiques et sadomasochistes jouent sur la provocation avec beaucoup d’ironie soulignant le fait que les Espagnols ne sont pas alors, malgré les apparences, totalement déculpabilisés et affranchis de leur éducation autoritaire, même si nous pouvons voir dans ces chansons, à l’instar d’Erik Neveu, « la réplique du rock (…) qui ne se contente pas de lancer l’énergie des guitares électriques pour faire rimer amour avec toujours », mais qui constitue une réponse à la pression sociale, une réaction face « au mode de vie dominant[17] ». Ainsi, pour Cristina Tango, le titre « Amoureux de la mode des jeunes » de Radio Futura doit être considéré comme le premier thème qui participe au « déshabillage acoustique » d’une société espagnole qui commence à considérer la musique, face au désarmement des idéologies, comme un nouveau dispositif de pensée plus puissant que la politique pour modifier la réalité[18].

Ces titres sont tournés vers l’expression du narcissisme et de la jouissance personnelle mais ils convoquent également l’autre dont le corps, objet de fantasmes, apparait fragmenté, voire maltraité, dans quelques chansons qui convoquent, à travers le filtre ambigu de l’ironie, une violence domestique loin d’être anecdotique en Espagne. Ils illustrent le rapport de force souligné précédemment : [End Page 12]

J’aimerais te casser un bras, parfois, mon amour, t’offrir un coup de pied dans ton cul rebondi, j’aimerais te casser la figure ou te tuer en t’embrassant, j’aimerais te casser un os et te serrer dans mes bras. Loquillo y los Trogloditas « Chanson d’amour » (« Canción de amor », 1984)

Brise-moi les os et jette-moi par la fenêtre, casse-moi la tête en mille morceaux, je te le demande, s’il-te-plaît. N’essaie pas de m’être agréable, fais-moi souffrir, donne-moi des coups sur la nuque. Pas de douces caresses, non, pas de chauds baisers, non, ce que je veux c’est que tu me fasses souffrir, brise-moi les os avec un marteau, quelques orteils, allons dans un endroit calme et arrache-moi la peau. Los Burros « Fais-moi souffrir » (« Hazme sufrir »,1983)

Ma fiancée s’appelait Raymond, je suis triste, tout juste hier, ma fiancée est morte. Elle était si belle et un camion me l’a écrasée. Son beau corps s’est retrouvé aplati, son crâne a rebondi comme un ballon. Son nom est de ceux qu’on n’oublie pas, ma fiancée s’appelait Raymond. Nous sommes sortis tant d’années ensemble et quel argent j’ai pu dépenser avec elle ! Ma fiancée s’appelait Raymond, mais qu’est-ce que ça fait, c’était une fille très intelligente. Ses baisers, ses mots d’amour, resteront à jamais sur l’autoroute. Los Burros « Ma fiancée s’appelait Raymond » (« Mi novia se llamaba Ramón », 1983)

III Des chansons d’amour qui contextualisent, dans le Madrid de l’après-franquisme, une évolution propre aux années quatre-vingt

Il convient également de mentionner parmi les chansons d’amour de cette période, les nombreux titres adressés à la ville de Madrid, à la fois objet et actrice du renouveau. En 1978, plusieurs groupes lui consacrent des messages d’amour ambigus comme Leño qui après avoir affirmé que « Madrid est une merde » finit par avouer que « tout ceci n’est que mensonge » ou encore Burning qui, dans « Madrid » (1978), interpelle directement la capitale qu’il compare à une prostituée et qu’il aime tout autant qu’il la hait : « Hey, Madrid, je te hais mais que puis-je y faire ? Je ne peux pas te quitter et me retrouver sans femme… Il faut sentir les caresses de Madrid sur ta peau et écrire avec son sang Madrid, tu es ma femme ». Progressivement, les artistes Pygmalions et narcissiques de la Transition vont se réapproprier la ville et la moderniser en la façonnant à leur image tout en appliquant des influences importées de Londres ou New-York. Les emprunts aux cultures d’adoption qui nourrissent la Movida viennent de cette invitation lancée dès 1978 par Los Corazones Automáticos, « à créer de l’étranger depuis l’intérieur » : provocation du punk, irrévérence du glam, rythmes afros chez Radio Futura dont le style est qualifié par Cristina Tango de «rock-risomático » en empruntant à Deleuze. Ces influences étrangères sont cependant recontextualisées par de nombreuses références madrilènes. C’est ainsi que l’on relève dans ces chansons d’amour les lieux emblématiques de la capitale où se retrouve la jeunesse madrilène décomplexée pour faire de nouvelles rencontres comme la discothèque Le Pentagrama (quartier de Malasaña) ou la rue Hortaleza connue pour ses nombreux bars et sa vie nocturne : [End Page 13]

La lumière du matin entre dans la chambre, tes cheveux dorés ressemblent au soleil, puis le soir, au Penta, pour écouter des chansons qui vont faire que je vais t’aimer. Nacha Pop « Fille d’hier » (« Chica de ayer », 1980)

Vous savez, je travaille dans un bar de Hortaleza, je suis le serveur qui te sert ta bière. (…) Je l’inviterai à sortir, à parcourir la ville comme j’en ai rêvé quelque fois. Moris « Samedi soir » (« Sábado noche », 1978)

La culture des bars liée à la capitale est ainsi fortement représentée dans ces chansons qui associent régulièrement l’amour à l’alcool, comme « 4 roses » (1984) de Gabinete Caligari qui assimile les quatre roses du célèbre bourbon au bouquet symbole d’amour :

Les bars, il n’y a pas d’endroits plus agréables pour discuter. Il n’y a rien de mieux que la chaleur de l’amour dans un bar. Amour, bien qu’à cette heure je ne sois plus vraiment moi-même, le moment est enfin arrivé de le dire : je t’aime. Garçon, un autre petit pain, que je ne sois pas obligé de me lever ! Il n’y a rien de mieux que la chaleur de l’amour dans un bar. Gabinete Caligari « A la chaleur de l’amour dans un bar » (« Al calor del amor en un bar », 1986)

Un samedi plein de filles collantes comme des caramels pourris, des femmes montrent leurs fatals attraits, un orage est sur le point d’éclater, des cuba-libres avant de commencer. Je suis un ivrogne. Ilegales « Bonbons pourris » (« Caramelos podridos », 1983)

Passe derrière ou déshabille-toi, Bébé, ne provoque pas ma passion car j’ai un feu à l’intérieur de moi que je ne peux contenir. Une pluie d’alcool mouille ma tête en sortant de l’hôtel où nous l’avons fait, le jour où je t’ai rencontrée. (…) Des litres d’alcool coulent dans mes veines, Bébé, je n’ai pas de problèmes de cœur, ce qui se passe c’est que je suis fou de drague. Ramoncín « Béton, femmes et alcool » (« Hormigón, mujeres y alcohol », 1981)

Aujourd’hui est un jour différent, tu finiras mal la soirée à cause du rhum et de la bière. Bébé, viens avec moi, laisse-toi guider, aujourd’hui je te montrerai où se termine la mer et où iront les cent mouettes. Duncan Dhu « Cent mouettes » (« Cien gaviotas », 1986)

Dans le titre « Amoureux de la mode des jeunes » (« Enamorado de la moda juvenil »), le groupe Radio Futura réalise, en 1980, « en passant par la Puerta del Sol », que « le futur est bien là ». En 1988, le groupe Mecano, dans « Il n’y a pas d’ambiance à New-York » (« No hay marcha en Nueva-York »), regrette son expérience new-yorkaise et ne rêve que de revenir à Madrid. Déjà en 1983, le groupe consacrait un titre à la capitale, « Madrid », dans lequel il avouait son attachement à la ville : « Oh Madrid, une ville de goudron, de fer, de ciment et de verre (…) certains à Madrid, ne peuvent le supporter mais moi sans fumée, je ne peux respirer ». L’ensemble de ces messages semblent ainsi être la traduction du célèbre slogan de la Movida, « Madrid me tue » (Madrid me mata), l’expression d’un je-t’aime-moi non plus [End Page 14] adressé à une amante qui, en succombant aux appels de la postmodernité, a fini par vendre une fausse image d’elle-même empruntée à d’autres capitales, pour plaire au plus grand nombre et guérir du complexe lié à son image dont elle souffrait au sortir du franquisme.

Toutes les chansons étudiées pour cet article traduisent donc un changement, « l’après » de la dictature, le renouveau et l’ouverture à la postmodernité. Elles supposent la volonté d’en finir avec le « mutisme du franquisme » qui selon Anne-Gaëlle Regueillet a frappé l’éducation sexuelle en Espagne sous Franco, non pas sur la forme mais sur le fond, et qui consistait à « rester muet tout en parlant[19] » de sexe afin de ne pas exciter les esprits à éduquer. Révéler en chantant, en criant, en provoquant parfois, la réalité des relations amoureuses mais aussi leur évolution après la fin du franquisme, lorsque l’Espagne découvre enfin véritablement la société de consommation. Un désir de rupture avec le mutisme du passé poussé parfois à l’excès et qui vaudra notamment la séparation du groupe Las Vulpes après son interprétation polémique de « J’aime être une chienne » (« Me gusta ser una zorra », 1983) lors de l’émission de télévision La caja de ritmo le 23 avril 1983 à une heure d’écoute familiale.

La majorité des textes réunis dans le corpus étudié, qui ont été écrits et interprétés par des hommes, rendent ainsi compte de l’instauration de nouveaux rapports dans le jeu de la séduction et les relations amoureuses en Espagne, dès le début de la Transition. La récurrence de termes liés aux registres belliqueux (guerre, guerrière, chasser, espionner, rafales, viser, assassin, frapper, sauver, fuir…) et ludiques (jeux, jouer, perdre, récompense, damier, poupée…) confirme les tensions propres au jeu de la séduction et aux relations amoureuses qui certes ne sont pas nouvelles, la passion ayant toujours existé et inspiré des poèmes et des chants d’exaltation ou de souffrance. Toutefois, à la souffrance du discours amoureux traditionnel (passion inassouvie, manque, trahison…) s’ajoute dans ces textes écrits pendant la Transition espagnole, la révélation de la difficulté à gérer à la fois par les hommes et par les femmes, des relations modifiées par la reconnaissance, alors, du rôle actif de la femme au sein des rapports amoureux, une place dont les valeurs morales du franquisme l’avaient totalement privée. C’est ainsi qu’à travers ces chansons se dessinent des rapports de force instaurés à la fois par des hommes (qui frappent, dévorent…) et des femmes (qui harcèlent, chassent…) qui apparaissent tour à tour comme les victimes d’un jeu dont les règles viennent d’être modifiées : victimes d’une impossible satisfaction du désir, d’une tentative de domination affective ou d’un refus de l’engagement souvent lié à une trahison affective.

Témoins de l’évolution économique et sociale de l’Espagne de l’après-franquisme, ces textes vont progressivement laisser transparaitre un désenchantement, le desencanto également présent à la fin de la Transition au niveau politique et qui se traduira par un retour à des valeurs plus traditionnelles. Au milieu des années quatre-vingt, alors que la Movida arrive à son terme frappée par un sentiment de fatigue générale mais aussi par la longue liste des victimes des excès du Sólo se vive una vez, Ana Curra dresse un constat désenchanté des nouvelles libertés dans « Rien de rien » (« Rien de rien », 1987) en déclarant « Bien que l’Espagne soit à la mode, les matins ont toujours un gout de gueule de bois. (…) Et avec le sida, s’est achevée la Movida ». Dès 1984, la chanteuse Alaska revenait, lors de la présentation de l’album Désir charnel, sur les relations amoureuses débridées associées à la Movida dans un discours qui sonne le glas de l’insouciance du Sólo se vive una vez : « Je pense que le sexe pour le sexe, le fait de coucher avec n’importe qui sans se poser de questions, c’est dépassé. Il me semble qu’il faut revenir aux sentiments, à la souffrance, à la jalousie, aux [End Page 15] passions compliquées, au mélodrame. L’amour, sans tout ça, cela n’existe pas. (…) Le sexe, même s’il est pratiqué uniquement pour le sexe, comme un jeu, finit par générer les mêmes angoisses et passions que l’amour romantique[20] ». [End Page 16]

Annexes

Listes de compilations de chansons de la Movida retenues pour cette étude :

  • La Edad de Ora del pop español, BMG Ariola S.A., Madrid, 1992.
  • A tu bola. La música de la Movida, Divucsa, Barcelona, 1998.
  • Los 80, qué vamos a hacer. Disky Communication, 1999.
  • Los tiempos están cambiando. La Movida. Un país de música. El País. Madrid, 2000.

 

Liste alphabétique des chansons d’amour retenues pour cette étude :

    1. « Agüita amarilla », Toreros Muertos (1987)
    2. « Ahora que estoy peor », Los Secretos (1982)
    3. « Al calor del amor en un bar », Gabinete Caligari (1986)
    4. « Alegría de vivir », Kaka de Luxe (1978)
    5. « Amor en frío », Las Chinas (1980)
    6. « Antes que salga el sol », Nacha Pop (1980)
    7. « Aquella canción de Roxy », La Mode (1982)
    8. « Arponera », Esclarecidos (1985)
    9. « Autosuficiencia », Parálisis Permanente (1981-83)
    10. « Cadillac solitario », Loquillo y Trogloditas (1982)
    11. « Canción de amor », Loquillo y Trogloditas (1984)
    12. « Canción para Pilar », Los Pecos (1979)
    13. « Caperucita feroz », La Orquesta Mondragón (1980)
    14. « Caramelos podridos », Ilegales (1983)
    15. « Cartas de amor », Vainica doble (1981)
    16. « Chica de ayer », Nacha Pop (1980)
    17. « Cien gaviotas », Duncan Dhu (1986)
    18. « ¿Cómo pudiste hacerme esto a mí? », Alaska y Dinarama (1984)
    19. « Concierto para adolescentes », Los Pecos (1978)
    20. « Conflicto armado », Los Burros (1983)
    21. « 4 rosas », Gabinete Caligari (1984)
    22. « Dame La oportunidad », Barón Rojo (1982)
    23. « Déjame », Los Secretos (1980)
    24. « Desabrochando », Tequila (1977)
    25. « Devuélveme a mi chica », Hombres G (1986)
    26. « Dime dónde », Rubi y los Casinos (1982)
    27. « Dime que me quieres », Tequila (1980)
    28. « Dos en la luz », Coz (1981)
    29. « El acto », Parálisis Permanente (1978)
    30. « Eloise », Tino Casal (1988)
    31. « El único juego en la ciudad », La Mode (1982)
    32. « Enamorado de la dependienta de la tienda de patatas fritas », Loquillo y Trogloditas (1984)
    33. « Enamorado de la moda juvenil », Radio Futura (1980)

[End Page 17]

    1. « Escuela de calor », Radio Futura (1984)
    2. « Este Madrid », Leño (1978)
    3. « Embrujada », Tino Casal (1983)
    4. « Flores condenadas », Pistones (1983)
    5. « Frio », Alarma (1985)
    6. « Fuertes emociones », Los Secretos (1981)
    7. « Groenlandia », Los Zombies (1980).
    8. « Hazme sufrir », Los Burros (1983)
    9. « Hormigón, mujeres y alcohol », Ramoncín (1981)
    10. « Hoy, quisiera estar a tu lado », Tequila (1979)
    11. « Huesos », Los Burros (1983)
    12. « Juegos extraños », Los Zombies (1980)
    13. « Lady del mañana », Coz (1981)
    14. « La regla », La Banda Trapera del Río (1978)
    15. « La chica de Plexiglás », Aviador Dro (1980)
    16. « La estatua del jardín botánico », Radio Futura (1982)
    17. « La tentación », Kaka de Luxe (1978)
    18. « Las chicas son guerreras », Coz (1978)
    19. « Lo estás haciendo muy bien », Semen Up (1985)
    20. « Madrid », Burning (1978)
    21. « Malos tiempos para la lírica », Golpes Bajos (1983)
    22. « Mari Pili », Ejecutivos Agresivos (1980)
    23. « Me aburro », Kaka de Luxe (1978)
    24. « Me aburro », Los Secretos (1981)
    25. « Me he enamorado de un fan », Rubi y los Casinos (1982)
    26. « Mentira para dos », Los Pecos (1979)
    27. « Me siento mejor », Los Secretos (1981)
    28. « Mi novia se llamaba Ramón », Los Burros (1983)
    29. « Mira esa chica », Tequila (1980)
    30. « Mueve tus caderas », Burning (1979)
    31. « Necesito un amor », Tequila (1980)
    32. « Nena », Tequila (1981)
    33. « Ni tu ni nadie », Alaska y Dinarama (1984)
    34. « No me dejes solo », Tequila (1981)
    35. « No me digas nada », Los Secretos (1981)
    36. « No me imagino », Los Secretos (1983)
    37. « No mires a los ojos de la gente », Golpes Bajos (1983)
    38. « No puedo más », Los Burros (1983)
    39. « No supe qué decir », Los Secretos (1981)
    40. « No tocarte », Radio Futura (1984)
    41. « Ojos de perdida », Los Secretos (1981)
    42. « Olvídeme señora », Los Pecos (1980)
    43. « Otra tarde », Los Secretos (1981)
    44. « Paraíso », Los Bólidos (1983)
    45. « Para ti », Paraíso (1980)
    46. « Princesa », Joaquín Sabina (1985)

[End Page 18]

  1. « Princesa equivocada », Los Ilegales (1986)
  2. « ¿Qué hace una chica como tú en un sitio como éste? » Burning (1978)
  3. « Qué puedo hacer yo », Los Secretos (1981)
  4. « Querida Milagros », El Último de la Fila (1985)
  5. « Quiero besarte », Tequila (1979)
  6. « Ráfagas », Los Bólidos (1980)
  7. « Recuerdos », Los Pecos (1979)
  8. « Ring, ring », Tequila (1980)
  9. « Sábado noche », Moris (1978)
  10. « Se fue como llegó », Los Secretos (1981)
  11. « Selector de frecuencias », Aviador Dro (1982)
  12. « Sentado al borde de ti », Nacha Pop (1985)
  13. « Semilla negra », Radio Futura (1984)
  14. « Señor », Los Pecos (1980)
  15. « Si me faltaras tú », Los Pecos (1980)
  16. « Sobre un vidrio mojado », Los Secretos (1981)
  17. « Susurrando », Peor Imposible (1984)
  18. « Tan lejos », Décima Víctima, (1982)
  19. « Te espio », Las Chinas, (1982)
  20. « Te gustará », Parálisis Permanente (1978)
  21. « Tengo un precio », Parálisis Permanente (1982)
  22. « Tiempo de amor », Danza Invisible (1983)
  23. « Trae en tu cara », Los Secretos (1982)
  24. « Tú juegas con mi corazón » Un pingüino en mi ascensor (1987)
  25. « Un hombre salvaje », Las Chinas (1980)
  26. « Veneno », Los Delincuentes (1977)
  27. « Vivir así es morir de amor », Camilo Sesto (1978)
  28. « Y te vas », Los Pecos (1979)
  29. « Yo tenía un novio », Rubi y los Casinos (1981)

[1] Radio Futura, « Escuela de calor », 1984, album La ley del desierto / La ley del mar.

[2] Courant musical qui se cristallise à Barcelone, au début des années soixante-dix, autour de la salle Zeleste et qui représente un métissage entre le rock progressif international et les musiques de racines méditerranéennes.

[3] Nom utilisé par la presse espagnole à partir de 1982 pour qualifier le phénomène socioculturel qui traduit le réveil culturel de la capitale espagnole à la fin du franquisme et qui se compose de trois phases successives : le Rrollo underground (d’influence punk, 1976-78), la Nueva Ola popera (New Wave pop, 1979-81) et la Movida (apogée commercial du phénomène, 1982-86). Cf. Magali Dumousseau Lesquer, La Movida, au nom du Père, des fils et du Todo Vale, Ed. Le Mot et le Reste, Marseille, 2012.

[4] Période correspondant à l’instauration de la démocratie en Espagne, qui débute en 1975 à la mort du général Franco et s’achève en 1986, lorsque l’Espagne intègre l’Union Européenne.

[5] Nous basons notre étude notamment sur les chansons d’amour sélectionnées dans : [End Page 19]

  • l’enquête réalisée par José Luis Gallero et publiée dans José Luis Gallero, Sólo se vive una vez. Esplendor y ruina de la movida madrileña, Ardora Ediciones, Madrid, 1991.
  • la liste « Les grands disques » publiée dans La edad de oro del pop español, ouvrage collectif coordonné par Santi Carrillo et Rafa Cervera, Luca Editorial, Madrid, 1992, p.106-111.
  • Formas y colores de la música, Diseño gráfico y música española a finales del siglo XX, ouvrage coordonné par María Carrillo, Comunidad de Madrid, 2009.
  • Jesús Ordovás, Los discos esenciales del Pop español, Lunwerg Ed., Madrid, 2010.
  • la liste des « 50 meilleurs disques de l’histoire du rock espagnol » publiée dans la revue Rolling Stone, le 9 mai 2012.
  • la « Liste des listes du pop-rock espagnol » publiée dans le journal El País en février 2014.
  • la liste des « 50 meilleurs musiciens espagnols. Récapitulatif des 50 plus grandes figures du pop-rock national et de leurs chansons emblématiques », publiée dans le journal El País, le 14 février 2014.
  • diverses compilations dont la liste est présentée en annexe de cet article.

[6] Paul Ricœur, La mémoire, l’histoire et l’oubli, Paris, Edition du Seuil, 2000, p.655.

[7] Rafael Torres Mulas, La vida amorosa en tiempos de Franco, Ediciones Temas de Hoy, Col. Historia, Madrid, 1996, p.11.

[8] Roland Barthes, Fragments d’un discours amoureux, Ed. Seuil, Paris, 1977.

[9] Gilles Lipovetsky, Le bonheur paradoxal, Folio essais, Gallimard, 2006, p. 333.

[10] Femme sadomasochiste d’un policier fasciste et groupie d’un groupe punk dans le film Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier, Pedro Almodóvar, 1980.

[11] Carlos Santos, 333 historias de la Transición, La Esfera de los Libros, 2015, Madrid.

[12] Francisco Umbral, « La Ola », El País, 23 septembre 1980.

[13] Eva Illouz, Pourquoi l’amour fait mal. L’expérience amoureuse dans la modernité, Paris, Seuil, 2012.

[14] Marc Gontard, Ecrire la crise, l’esthétique postmoderne, PUR, Rennes, 2013, p.65.

[15] Gilles Lipovetsky, op. cit. p. 273-274.

[16] Marc Gontard, op cit. p. 65.

[17] Erik Neveu, « Won’t get fooled again? Pop musique et idéologie de la génération abusée », dans Rock de l’Histoire au mythe, dirigé par Patrick Mignon et Antoine Hennion, Col. Vibrations, Anthropos, Paris, 1991, p. 50.

[18] Cristina Tango, La Transición y su doble, El rock y Radio Futura, Biblioteca Nueva, Madrid, 2006. p. 101.

[19] Anne-Gaëlle Regueillet, « La sexualité en Espagne pendant le premier franquisme (1939-1950) », Cahiers de civilisation espagnole contemporaine [En ligne], 3 | 2008, mis en ligne le 13 janvier 2009, consulté le 23 octobre 2015. URL : http://ccec.revues.org/2516.

[20] Francisco Umbral, « Entrevista: Las nuevas españolas. Olvido Gara ». El País, 14 janvier 1985.

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